La scolarisation des enfants rroms est à réinventer

Publié le 20 Novembre 2010

"S'il te plaît, aide-moi à apprendre à lire et à écrire !"

Ce n'est pas un enfant mais un jeune rrom bulgare de 26 ans qui habite dans un squat qui m'a fait cette demande. Bien sur que je vais tout faire pour qu'il puisse apprendre à lire et à écrire.

Analphabète comme une grande majorité de rroms, il s'est rendu compte à l'âge adulte des difficultés que l'on peut rencontrer dans la vie lorsqu'on ne sait lire ni écrire.

C'est bien pour cela mais aussi pour quelques autres raisons que je me bats depuis trois ans pour la scolarisation des enfants rroms de l'agglomération bordelaise.

Quand je suis arrivé dans les squats en 2007, presque aucun enfant n'était scolarisé. Aujourd'hui, ils le sont à 98 ou 99 % pour ce qui est des squats que je visite et que j'accompagne.

Cela n'a pas été facile. La scolarisation n'est pas une priorité pour les rroms du fait que la porte des écoles leur a été souvent fermée dans leurs pays d'origine mais aussi pour des raisons économiques car les enfants doivent participer au gagne-pain de la famille.

Les obstacles de l'administration ont aussi été nombreux. Rigide, celle-ci a du mal à s'adapter à ces enfants différents, venus d'ailleurs, ne parlant parfois même pas un mot de français. Des coups de gueule avec l'éducation nationale, de bonnes expériences aussi issues d'un véritable dialogue avec les instituteurs, des affrontements avec les familles qui voyaient là un échange bien peu rentable.

Il faut dire que les familles roumaines et bulgares sont victimes d'une injustice peu compréhensible. Même lorsque les enfants sont scolarisés, celles-ci ne bénéficient d'aucune allocation ou autre aide. Même l'aide attribuée par le Conseil Général leur est souvent refusée du fait que les enfants n'ont pas fait leur rentrée en collège avant une date limite, date difficilement respectée car ces enfants doivent subir des tests au CASNAV, organisme dépendant de l'académie, et que les rendez-vous sont parfois pris pour des délais supérieurs à un mois.

Pour les plus petits, en maternelle ou élémentaire, tout dépend du bon vouloir du maire. Ainsi, à Cenon j'ai du engager un bras de fer juridique et médiatique avec le maire pour que les enfants soient acceptés à l'école mais encore aujourd'hui, les enfants rroms de maternelle doivent être scolarisés à Bordeaux, pour je ne sais quelles raisons. A Cenon aussi, alors que le maire annonçait à grand coup de communication la gratuité de la cantine pour les familles les plus défavorisées, les enfants rroms n'ont toujours pas accès à la cantine, étape ô combien importante dans le processus d'intégration. Dernièrement, j'ai aussi saisi l'inspecteur d'académie des difficultés que rencontrait une famille pour scolariser un de ses enfants dans cette ville.

Il y a deux ans, cela coinçait aussi avec le CASNAV qui depuis a changé d'attitude et je dois reconnaître que cela se passe plutôt bien.

A Bordeaux, aucun problème pour scolariser les enfants mais depuis quelques semaines, j'ai des retours par les familles qui commencent à m'inquiéter. Ce sont les écoles qui posent problème. Enfants transférés dans les CLIN parce qu'ils ne parlent pas français, scolarisation bloquée par manque de communication avec les familles mais aussi par méconnaissance de cette population, surtout dans les écoles qui découvrent les enfants rroms.

Encore une fois, il est temps de créer un poste de médiateur !

Je vous parlais de CLIN. Il y a aussi les CLANSA dans les collèges. Ce sont des classes d'accueil pour les nouveaux arrivants. Des structures inutiles et défaillantes devant l'ampleur de la situation. Non seulement elles sont éloignées des secteurs où vivent les rroms mais je pense, sans être spécialiste de l'éducation, que c'est une erreur de mettre des enfants non francophones tous ensemble. Je comprends qu'il puisse y avoir un apprentissage renforcé du français et même je salue cette initiative mais j'ai l'impression que le mélange des élèves forcerait l'apprentissage de la langue.

Comment entendre les sons, apprendre les mots, apprendre le français "vivant" en étant entre gamins dont aucun ne parle cette langue ?

Cela pose aussi la question de l'accompagnement post-scolaire, aussi bien en période scolaire que pendant les vacances. Le travail à faire la maison mais aussi les loisirs, dont ils ne bénéficient pas d'autant plus qu'ils restent entre eux dans les squats alors qu'ils pourraient fréquenter les centres de loisirs, lieux de rencontre et de partage.

Ce sont des questions que je me pose et je regrette que les responsables de l'éducation nationale ne se les posent pas.

Faute de mieux, je vais demander à la mairie de Bordeaux d'interpeller l'académie afin d'obtenir l'ouverture d'une de ces CLIN dans le quartier de la Bastide. Faute de mieux, je préfère une CLIN proche des lieux de vie que dans la commune d'à côté, où les élèves n'iront pas.

Pourquoi tout cet engagement pour la scolarisation des enfants rroms ?

Parce que je pense que l'école sera l'unique chance qui leur sera donnée dans la vie, qu'il ne faut surtout pas rater. De leur parcours scolaire en France peut dépendre leur navenir. Je ne voudrais pas les retrouver dans quelques années à faire la manche comme leurs parents.

Cela me met parfois dans le rôle du méchant, quand je menace les parents de les faire mettre en prison si leurs enfants ne sont pas scolarisés. Peu m'importe, si cela peut contribuer à aider quelques gosses à devenir des adultes capables de s'en sortir dans la vie. S'il y a une seule raison d'intervenir auprès de cette population, je dirais que c'est celle-là.

Et j'en suis fier. Rien que ce mois, j'ai scolarisé presque une trentaine de gosses.

Mais pour avoir une idée globale de la scolarisation en France, des enjeux, des difficultés ou des réussites, je vous invite à visiter le site du Collectif Romeurope et en particulier la partie du Collectif pour le droit des enfants roms à l'éducation, dont fait partie l'association que je préside.

Rédigé par Mouette Rieuse

Publié dans #Immigration

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Commenter cet article
T
<br /> " Parce que je pense que l'école sera l'unique chance qui leur sera donnée dans la vie, qu'il ne faut surtout pas rater. De leur parcours scolaire en France peut dépendre leur navenir"<br /> <br /> Ha, j'aimerais bien que plein de petits français lisent cela, et se rendent compte de la chance qu'ils ont de pouvoir être scolarisés, alors qu'ailleurs, c'est une lutte !<br /> <br /> Plutôt que de chercher à se défiler, sécher les cours, faire les malins, se bagarrer, etc...<br /> <br /> <br />
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